Dans un environnement éducatif de plus en plus compétitif, le recrutement des étudiants est devenu un enjeu stratégique majeur pour les Grandes Écoles de Management en France. Pour répondre à cette réalité, certaines institutions adoptent des stratégies innovantes, notamment la coopétition, qui combine coopération et compétition entre écoles concurrentes. Dans son article de recherche intitulé « The Impact of Coopetition on Student Recruitment in Higher Education », Olivier Guyottot, enseignant-chercheur à l’INSEEC Grande École, explore les effets de cette approche sur le processus d’admission et sur la diversité des candidats.
À travers une étude qualitative, il met en lumière les avantages et les défis associés à la coopétition, ainsi que son impact sur la performance des écoles et le profil des étudiants recrutés. Dans cette interview, nous avons le plaisir de discuter avec Olivier Guyottot des résultats de sa recherche et des implications qu’elle peut avoir pour l’avenir des Grandes Écoles de Management en France.

Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer le concept de coopétition dans le contexte du recrutement des étudiants dans les Grandes Écoles de Management ?
L’idée m’est venue de mon expérience du recrutement étudiant et de ma participation à des banques de concours. J’ai toujours été étonné par la volonté d’écoles extérieures à ces banques de concours d’y adhérer, et donc d’adopter des stratégies de coopétition, en pensant que celles-ci allaient mécaniquement améliorer leur recrutement. Elles en avaient une vision idéalisée, alors que, connaissant le fonctionnement interne, j’en percevais aussi les difficultés et les limites propres à ce type de stratégie.
Pourriez-vous expliquer simplement ce que vous entendez par coopétition et comment cela se manifeste dans le secteur de l’enseignement supérieur ?
La coopétition consiste à collaborer avec des concurrents pendant une période donnée, avant de redevenir concurrents par la suite — ou de l’être parallèlement à cette coopération. C’est une stratégie qui peut sembler contre-intuitive, dans un système où la compétition est souvent perçue comme la clé du succès. Pourtant, elle s’est largement développée au cours des quarante dernières années, souvent sous la pression des autorités de tutelles. Dans l’enseignement supérieur, la coopétition est assez courante : doubles diplômes ou joint degrees, projets de recherche communs, actions de promotion (notamment à l’international), etc. Les concours communs organisés par les Grandes Écoles de Management françaises pour recruter leurs étudiants en sont une illustration. Les écoles collaborent pour promouvoir et organiser un concours commun, mais redeviennent concurrentes lors de l’affectation des étudiants, en tentant d’attirer les meilleurs profils.
Quels sont les principaux résultats de votre étude concernant l’impact de la coopétition sur le nombre de candidatures reçues par les écoles ?
La coopétition permet aux écoles d’optimiser l’utilisation de leurs ressources en matière de promotion et de communication, et aux établissements les moins prestigieux de bénéficier de l’image et de la réputation des écoles leaders. De leur côté, les candidats découvrent de nouvelles écoles tout en optimisant le nombre d’établissements présentés et l’organisation logistique de leurs concours. Ces effets combinés génèrent un volume de candidatures souvent bien supérieur à celui d’un concours indépendant.
Vous mentionnez que la coopétition peut avoir un effet négatif sur la diversité des profils recrutés. Pouvez-vous développer ce point ?
En standardisant et en uniformisant les critères d’admission, les stratégies de coopétition rendent généralement plus difficile la détection des profils atypiques, qui peinent, sauf exception, à se distinguer. La coopétition ne modifie qu’à la marge des processus de sélection fondés principalement sur les compétences académiques, et tend à avantager les candidats les plus habitués au fonctionnement et aux codes de l’enseignement supérieur. Cependant, les écoles parviennent en partie à corriger cet effet grâce à l’utilisation croissante d’épreuves évaluant des compétences dépassant le seul bagage scolaire traditionnel, comme les entretiens de motivation.
Comment la coopétition renforce-t-elle la position des écoles leaders par rapport à celles qui sont moins bien classées ?
Le nombre élevé de candidatures généré par la coopétition favorise la sélectivité des écoles leaders, en attirant des candidats qui, sans cela, se seraient peut-être autocensurés. Elle tend aussi à figer les hiérarchies, notamment parce que les écoles dominantes ont souvent la main dans la définition des règles et des épreuves, ce qui contribue à perpétuer leur position de force.
Quelles recommandations donneriez-vous aux Grandes Écoles de Management qui envisagent d’adopter une stratégie de coopétition pour le recrutement ?
Les écoles souhaitant adopter une telle stratégie doivent aller au-delà de la simple recherche d’une augmentation du nombre de candidatures. Il leur faut s’assurer que les règles de fonctionnement et de gouvernance de la banque de concours garantissent à chacune d’elles une optimisation à la fois quantitative et qualitative de leur recrutement final.
Comment pensez-vous que ces stratégies de coopétition affectent l’expérience des étudiants candidats ?
Ces alliances permettent aux candidats de découvrir de nouvelles écoles et d’optimiser à la fois le nombre d’établissements présentés et la logistique de leurs concours — ce qui constitue un avantage réel. Cependant, ces stratégies incitent aussi certains candidats à présenter des écoles qui ne les intéressent pas, créant ainsi des « faux candidats » pour certaines institutions, notamment les moins prestigieuses. Ces candidatures artificielles gonflent les chiffres tout en rendant le recrutement plus complexe et incertain pour ces écoles, malgré son importance stratégique.
À votre avis, comment la coopétition évoluera-t-elle dans le contexte actuel de l’enseignement supérieur, notamment avec la baisse attendue du nombre de bacheliers ?
La baisse annoncée du nombre de bacheliers et d’étudiants affecte profondément l’approche des stratégies coopétitives dans l’enseignement supérieur. Elle renforce la tendance des écoles à croître pour atteindre une taille critique nécessaire à leur survie et à leur développement, tout en modifiant les rapports de force et les relations de pouvoir au sein de ces alliances. Il est probable que cette évolution confirme la tendance actuelle : de moins en moins d’écoles se tournent vers la coopétition.
Quelles leçons personnelles tirez-vous de cette recherche sur la coopétition et son application dans le domaine de l’éducation ?
La coopétition est souvent perçue et présentée de manière très positive, car elle véhicule une idée de partage et de collaboration, conforme aux valeurs de l’éducation. Il est toutefois essentiel de dépasser cette vision simpliste et idéalisée, et de vérifier que les règles mises en place permettent réellement aux écoles comme aux étudiants d’en tirer un bénéfice mutuel et durable.
Publication scientifique : GUYOTTOT, O., A. COUSTON, S. TRAN, « The Impact of Coopetition on Student Recruitment in Higher Education: A Study of French Business Schools’ Admission Strategy », Higher Education Quarterly, 2024,
